Cimetière traditionnel et mise en scène de la mort
Le cimetière lieu du rituel tend à retenir les morts parmi nous au moins dans notre mémoire sinon dans la réalité, puisqu'il n'est guère difficile d'imaginer ce qu'il advient d'eux à six pieds sous terre. Cependant derrière les murs de pierre et les écrans de cyprès de sa mise à l'écart ce théâtre d'ombres subit aujourd'hui une triste métamorphose. Autrefois pour ceux qui savaient les entendre, le cimetière bruissaient des chères voix disparues et du vol des anges qui allaient et venaient entre le ciel et la terre.
Histoire sociale au travers de l'art funéraire
Aujourd'hui, si nous n'y prenons pas garde, cette humanité qui se lisait, en lisant les monuments, en caressant les sculptures, en déchiffrant les épitaphes, cette humanité qui nous racontait, à travers les œuvres des artistes, son histoire sociale et son histoire affective, s'effacera des champs de repos. La nécropole, la ville des morts perd lentement son âme pour n'être plus qu'un espace fonctionnel standardisé, appauvri, mutilé par les règlements au mieux d’un parking numéroté au pire, une décharge anonyme. Dans les années 1970 à peu près, alors que comme tout le monde, je pensais que la mort était pour les autres. Il m'est arrivé, comme à beaucoup d'ailleurs, d'être confronté un certain nombre de disparitions dramatiques, mais dans le même temps, j'ai découvert avec horreur, que j'étais, mais je peux dire aussi, que je suis un être mortel, et ça a été une révélation, quasiment insupportable, et là il a fallu immédiatement trouver une espèce d'antidote, de contrepoison.
« Comment moi, disparaître, mais c'est pas possible ! »
Rituel funéraire et histoire des sociétés
Mais, je sais au fond de moi, bien sûr que je vais disparaître, donc il faut trouver un truc, entre guillemets, et ce truc, hé bien, c'est de faire l'artiste tout simplement. Je garde encore le souvenir de ces allées en gravier blanc, bordées de monuments en pierre sculptée, ce silence religieux rompu par le crissement de mes pas du haut de mes dix ans. J'aimais glisser mon regard dans l'usure d'un vitrail, dans l'espoir d'y voir la flamme d'un cierge danser à l'intérieur d'une chapelle. 30 ans ont passé et je me demande pourquoi les artistes funéraires ont déserté ma ville des morts, et laisser ainsi, les visages de pierre si expressifs, s'effacer contre les plaques de marbre lisses. N'y a-t il personne en ce bas monde capable de redonner vie à nos lieux de mémoire, d'apporter un souffle nouveau, d'offrir du sens aux rituels funéraires, d'imaginer de nouveaux concepts pour que les générations futures soient en harmonie.
Le travail des artistes au plus près de l’image de la mort : caveaux et sépultures
L'important pour moi, pour travailler, c'est d'être au calme et d'être surtout dans le silence, parce que j'aime le silence. Je suis, par exemple, incapable de travailler et d'écouter de la musique en même temps. Il faut que je choisisse ou l'un, ou l'autre. Il y a, je dirais, la satisfaction de réussir à bricoler, sans avoir jamais appris à bricoler et à faire des séries qui me permettent d'abord, un, de montrer que je suis capable de faire quelque chose, et deux, que je suis capable de le refaire et puis après mon dieu ça roule tout seul. Donc les séries, ça peut être des séries de corbillard, ça peut être des séries de deux tombes, et puis après, il faut raconter une histoire.
Alors évidemment, ces tombes, parfois, elles sont, selon mon humeur, des tombes sentimentales, des tombes amoureuses. Et puis quelquefois, ce sont des tombes plus humoristiques, parce que bien entendu il faut que je continue toujours à jouer en permanence avec la mort. Je vois beaucoup d'artistes qui viennent avec des projets et des idées, avec l'envie de réaliser quelque chose, mais la grosse difficulté aujourd'hui, c'est qu’on a une profession qu'il ne leur ouvre pas les portes. Il se trouve que c'est très dommage parce qu’on pourrait, sans que ce soit véritablement, un surcoût dans les réalisations, faire des choses qui aient vraiment une âme. Voilà l'objet, donc une tombe qui vous mène quasiment directement au paradis. Le chemin est très court, il n’y a même pas de passage par le purgatoire. Ce que je trouve génial avec ce monument, c'est que t'as même pas besoin de donner d'explications.
"Tu imagines, tu passes dans le cimetière, et tout de suite ça te raconte une histoire qui est très poétique, en plus comme tu es face à un monument, c'est quelque chose de minéral, qui est souvent assez bas, et tu regardes vers le bas, mais en même temps tes pensées s'élèvent. Là, au contraire, c'est comme un miroir, tu vois qu'il serait au sol et il invite à regarder vers le ciel."
Histoire et religions : l'art funéraire
C’est dans l’imaginaire collectif, le paradis est forcément en haut et l'enfer est en bas. Donc là, celui qui a un monument comme celui là il ne peut qu'aller au paradis. Les objets qu'on va choisir, qui sont présents dans le magasin, ça fonctionne par affinité, c'est un coup de foudre pour un objet, une création d'un artiste, pour un objet, une matière, une forme... Je crois qu’aujourd'hui, beaucoup de gens ne s’y retrouvent pas dans les objets qu'on peut leur proposer dans une maison de pompes funèbres. Quand je dis les objets, je pense à des objets qui sont très fortement symboliques, comme un cercueil, comme une urne. Ces personnes là, souvent, recherchent quelque chose d'assez sobre, qui soit beau, un bon matériau, quelque chose qui a une histoire parfois. Ça peut être une histoire parce que, c'est un objet ancien, ça peut être l'histoire de quelqu'un qui l'a façonné, un artisan, un artiste...
Art funéraire industriel ?
Du coup il met une histoire dans l'objet, c'est pas un objet industriel. Ça peut faire plaisir à quelqu'un de se dire que les cendres de son défunt repose dans cet objet là, donc parfois c'est vrai que je vais choisir des choses qui ne sont pas complètement de mon goût à moi, mais quand même, la plupart du temps j'ai une vraie affection pour les objets que je choisis. La symbolique funéraire est multiple, d'un côté il y a un espoir, manifestement on va aller dans l'ailleurs, dans l'au-delà, donc l'espérance d'une vie après la mort. Alors que là, au contraire, on nous montre un instant beaucoup plus dramatique, c'est celui où la vie coupée par La Parque quitte le vivant et bascule, on ne sait pas dans quoi, mais bascule dans la mort. Je trouve que ça exprime un passage, une coupure vers un autre monde. Celui-ci m'a été inspiré par un cimetière très précis qui est dans la banlieue de Vienne en Autriche. C'est à côté d'un cimetière, qui est le cimetière des hommes sans nom, et il se trouve qu'à côté de ce cimetière précisément, il y à une voie de chemin de fer qui est une sorte de terminus, de final. J'ai toujours été fasciné par les butoirs dans les gares ou dans la cour. Les butoirs de train me semblent tout à fait représentatifs de la fin de la vie. C'est fort, ça ne laisse pas indifférent les personnes qui le voient.