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Art funéraire : des artistes au service des cimetières et des familles

Métiers du funéraire, des artistes transforment les métiers et ls rituels

Cimetière traditionnel et mise en scène de la mort

Le cimetière lieu du rituel tend à retenir les morts parmi nous au moins dans notre mémoire sinon dans la réalité, puisqu'il n'est guère difficile d'imaginer ce qu'il advient d'eux à six pieds sous terre. Cependant derrière les murs de pierre et les écrans de cyprès de sa mise à l'écart ce théâtre d'ombres subit aujourd'hui une triste métamorphose. Autrefois pour ceux qui savaient les entendre, le cimetière bruissaient des chères voix disparues et du vol des anges qui allaient et venaient entre le ciel et la terre.

Histoire sociale au travers de l'art funéraire

Aujourd'hui, si nous n'y prenons pas garde, cette humanité qui se lisait, en lisant les monuments, en caressant les sculptures, en déchiffrant les épitaphes, cette humanité qui nous racontait, à travers les œuvres des artistes, son histoire sociale et son histoire affective, s'effacera des champs de repos. La nécropole, la ville des morts perd lentement son âme pour n'être plus qu'un espace fonctionnel standardisé, appauvri, mutilé par les règlements au mieux d’un parking numéroté au pire, une décharge anonyme. Dans les années 1970 à peu près, alors que comme tout le monde, je pensais que la mort était pour les autres. Il m'est arrivé, comme à beaucoup d'ailleurs, d'être confronté un certain nombre de disparitions dramatiques, mais dans le même temps, j'ai découvert avec horreur, que j'étais, mais je peux dire aussi, que je suis un être mortel, et ça a été une révélation, quasiment insupportable, et là il a fallu immédiatement trouver une espèce d'antidote, de contrepoison.

« Comment moi, disparaître, mais c'est pas possible ! »

Rituel funéraire et histoire des sociétés

Mais, je sais au fond de moi, bien sûr que je vais disparaître, donc il faut trouver un truc, entre guillemets, et ce truc, hé bien, c'est de faire l'artiste tout simplement. Je garde encore le souvenir de ces allées en gravier blanc, bordées de monuments en pierre sculptée, ce silence religieux rompu par le crissement de mes pas du haut de mes dix ans. J'aimais glisser mon regard dans l'usure d'un vitrail, dans l'espoir d'y voir la flamme d'un cierge danser à l'intérieur d'une chapelle. 30 ans ont passé et je me demande pourquoi les artistes funéraires ont déserté ma ville des morts, et laisser ainsi, les visages de pierre si expressifs, s'effacer contre les plaques de marbre lisses. N'y a-t il personne en ce bas monde capable de redonner vie à nos lieux de mémoire, d'apporter un souffle nouveau, d'offrir du sens aux rituels funéraires, d'imaginer de nouveaux concepts pour que les générations futures soient en harmonie.

Le travail des artistes au plus près de l’image de la mort : caveaux et sépultures

L'important pour moi, pour travailler, c'est d'être au calme et d'être surtout dans le silence, parce que j'aime le silence. Je suis, par exemple, incapable de travailler et d'écouter de la musique en même temps. Il faut que je choisisse ou l'un, ou l'autre. Il y a, je dirais, la satisfaction de réussir à bricoler, sans avoir jamais appris à bricoler et à faire des séries qui me permettent d'abord, un, de montrer que je suis capable de faire quelque chose, et deux, que je suis capable de le refaire et puis après mon dieu ça roule tout seul. Donc les séries, ça peut être des séries de corbillard, ça peut être des séries de deux tombes, et puis après, il faut raconter une histoire.

Alors évidemment, ces tombes, parfois, elles sont, selon mon humeur, des tombes sentimentales, des tombes amoureuses. Et puis quelquefois, ce sont des tombes plus humoristiques, parce que bien entendu il faut que je continue toujours à jouer en permanence avec la mort. Je vois beaucoup d'artistes qui viennent avec des projets et des idées, avec l'envie de réaliser quelque chose, mais la grosse difficulté aujourd'hui, c'est qu’on a une profession qu'il ne leur ouvre pas les portes. Il se trouve que c'est très dommage parce qu’on pourrait, sans que ce soit véritablement, un surcoût dans les réalisations, faire des choses qui aient vraiment une âme. Voilà l'objet, donc une tombe qui vous mène quasiment directement au paradis. Le chemin est très court, il n’y a même pas de passage par le purgatoire. Ce que je trouve génial avec ce monument, c'est que t'as même pas besoin de donner d'explications.

"Tu imagines, tu passes dans le cimetière, et tout de suite ça te raconte une histoire qui est très poétique, en plus comme tu es face à un monument, c'est quelque chose de minéral, qui est souvent assez bas, et tu regardes vers le bas, mais en même temps tes pensées s'élèvent. Là, au contraire, c'est comme un miroir, tu vois qu'il serait au sol et il invite à regarder vers le ciel."

Histoire et religions : l'art funéraire

C’est dans l’imaginaire collectif, le paradis est forcément en haut et l'enfer est en bas. Donc là, celui qui a un monument comme celui là il ne peut qu'aller au paradis. Les objets qu'on va choisir, qui sont présents dans le magasin, ça fonctionne par affinité, c'est un coup de foudre pour un objet, une création d'un artiste, pour un objet, une matière, une forme... Je crois qu’aujourd'hui, beaucoup de gens ne s’y retrouvent pas dans les objets qu'on peut leur proposer dans une maison de pompes funèbres. Quand je dis les objets, je pense à des objets qui sont très fortement symboliques, comme un cercueil, comme une urne. Ces personnes là, souvent, recherchent quelque chose d'assez sobre, qui soit beau, un bon matériau, quelque chose qui a une histoire parfois. Ça peut être une histoire parce que, c'est un objet ancien, ça peut être l'histoire de quelqu'un qui l'a façonné, un artisan, un artiste...

Art funéraire industriel ?

Du coup il met une histoire dans l'objet, c'est pas un objet industriel. Ça peut faire plaisir à quelqu'un de se dire que les cendres de son défunt repose dans cet objet là, donc parfois c'est vrai que je vais choisir des choses qui ne sont pas complètement de mon goût à moi, mais quand même, la plupart du temps j'ai une vraie affection pour les objets que je choisis. La symbolique funéraire est multiple, d'un côté il y a un espoir, manifestement on va aller dans l'ailleurs, dans l'au-delà, donc l'espérance d'une vie après la mort. Alors que là, au contraire, on nous montre un instant beaucoup plus dramatique, c'est celui où la vie coupée par La Parque quitte le vivant et bascule, on ne sait pas dans quoi, mais bascule dans la mort. Je trouve que ça exprime un passage, une coupure vers un autre monde. Celui-ci m'a été inspiré par un cimetière très précis qui est dans la banlieue de Vienne en Autriche. C'est à côté d'un cimetière, qui est le cimetière des hommes sans nom, et il se trouve qu'à côté de ce cimetière précisément, il y à une voie de chemin de fer qui est une sorte de terminus, de final. J'ai toujours été fasciné par les butoirs dans les gares ou dans la cour. Les butoirs de train me semblent tout à fait représentatifs de la fin de la vie. C'est fort, ça ne laisse pas indifférent les personnes qui le voient.

 

cimetiere vegetation

Nouveau métier ou nouveau mot : le sépulteur ?

C'est assis en tailleur, seul, face à la vallée de Montvaux, dans la nécropole du mont Saint Germain, que je rencontre Pierre. Il a choisi cet endroit, envoûtant et empreint d'histoire, pour notre premier entretien. J'appréhendais un peu de rencontrer ce sépulteur, inventeur du mot et fervent défenseur depuis 20 ans de l'art funéraire au sens noble du terme. Là, loin du tumulte de la ville, nous avons parlé de ses projets et de son combat. « Sépulteur est la contraction du mot sépulture et sculpteur, car je pense qu'effectivement ça peut correspondre à une véritable profession, un véritable nouveau métier. Je serai évidemment très content si d'ici quelques années, il y avait une vingtaine, une trentaine de personnes en France qui pouvaient se targuer de rentrer dans ce nouveau code du travail avec ce mot. On peut dire aussi que si d'aventure ce nom commun pouvait rentrer dans le dictionnaire français ce serait rigolo. Là, en fait j'essaye d'imaginer la conception d'un arbre généalogique, l'arbre généalogique qui est en général montré sur support papier. Là, il est destiné à être en cuivre et sur chacune des feuilles il y a prénoms et noms, et les deux dates d’un membre de la famille qui est pas forcément enterré là d'ailleurs, mais qui forment cette ascendance du ou des défunts.

Sépulture et ornement artistique

L’idée c'est vraiment une mémoire presque totale et familiale puisque quand on est devant cette sépulture on arrive à voir exactement quelles sont les membres d'une même famille. J'avais dit que je ferais la sépulture de ma mère, mais en fait comme elle va pas bien, c'est celle de mon père qui est assez bien pourtant. Comme il s'intéresse à la généalogie je lui fais sa tombe. Je suis l'un des rares à dire que j'ai envie de vivre du fruit de mon travail artistique qui consiste à faire des sépultures. Je crois que nous ne sommes que deux en France. Il y a ces vingt ans passés, on a approché des systèmes, expérimenter des modes de commercialisation, pour faire en sorte que certains nombres d'intéressés se soient familiarisés avec cette approche, qui paraît d'emblée quand on dit sépulture, il y a une notion macabre, triste et morbide et si une réalisation sculpturale peut faire porter un regard un peu nouveau, un peu moins tragique, je crois que c'est une bonne chose.

Des professionnels du funéraire : les pompes funèbres

Quand j'ai poussé la porte de L'autre rive, le magasin funéraire de Raphaël, j'ai pensé que toutes les pompes funèbres devraient lui ressembler. Un lieu clair, esthétique, apaisant déjà la douleur de ceux qui en franchissent le seuil, un parfum de douce éternité.

"En fait, je n'étais pas du tout prédestiné à travailler dans les pompes funèbres mais en même temps j'avais depuis nombreuses années cette attirance vers le funéraire et j’avais remarqué qu'il y avait un manque énorme. Du coup j'ai commencé à chercher dans le domaine funéraire, est-ce qu'il y avait d'autres façons de faire qui existaient, et en France je n’en ai quasiment pas trouvé. "

C'était un milieu professionnel qui était assez figé dans un certain nombre de traditions, de façon de faire et le fait de voir qu'il y avait très peu d'offres autres, je me suis dit mais il faut que les gens aient cette possibilité-là Il faut créer quelque chose qui leur ouvre des portes. Au début, quand j’ai ouvert l'autre rive, c'est vrai que la profession a regardé cette nouvelle maison de pompes funèbres qui s'ouvrait d'un œil curieux. Je n'ai pas eu de personnes qui ont essayé de me mettre des peaux de banane. Aujourd'hui les professionnels, mais pas seulement les professionnels du funéraire, les professionnels qui sont dans les hôpitaux, qui sont dans les maisons de retraite, qui voient de quelle façon on intervient, notre travail décent, disent que c'est c'était nécessaire d'avoir aussi cette offre là pour le public parce qu’il y a des attentes qui n'étaient pas satisfaites.

C'est vrai qu'on propose des services qui peuvent paraître assez spectaculaire, le fait d’envoyer en orbite une portion des cendres du défunt, de créer un diamant avec les cendres du défunt, de pouvoir lors d'une dispersion, faire un geste pyrotechnique avec l'explosion des cendres au-dessus de la mer par exemple. Toutes ces choses-là c'est pas notre quotidien, c'est pas les demandes qui sont les plus courantes, c'est peut-être pour ouvrir très grand les portes, de dire voyez si ce geste là peut avoir une signification pour vous, c'est possible ! Tu te souviens du cercueil rouge qu'on avait fait, avec le portrait de la défunte tout habillée en rouge vif, avec son chapeau et le cercueil à côté rouge vif, rouge pompier... ce n'était pas de la demi-mesure. Les gens d'une façon générale ne savent pas ce qu'ils ont le droit de faire, ce qu'ils n'ont pas le droit de faire. Tout récemment, j'avais une famille à l'église, on nous a dit ce qui nous ferait plaisir, ce serait de pouvoir porter le cercueil notre père, mais est-ce qu'on a le droit ? Et ils étaient très heureux de pouvoir porter le cercueil de leur père et c'est vrai que de voir des cercueils portés par les tout proches à l’intérieur de l'église, tout de suite c'est une tonalité qui est donné à l'ensemble des obsèques, quelque chose de très humain.

Art funéraire ou création artistique avant tout ?

Aujourd'hui je trouve ça inconvenant de parler d'art funéraire parce que c'est pas de la création artistique, c'est de la gestion d'un abri, facile d'entretien, solide, qui permet de n'aller dans un cimetière que le jour de la Toussaint. Il y a deux volets dans la situation de l'art funéraire aujourd'hui. Il y a celui du point de vue de la collectivité locale qui décide de l’allure du cimetière, et celui des particuliers qui ont la faculté comme ils l'entendent d'occuper ces deux mètres carré, voire de faire des monuments eux-mêmes, mais ils ne le savent pas.

Dans ce rendez-vous très complexe avec l'entreprise de pompes funèbres il n’y a pas la place pour le choix d'un monument à ce moment-là Le monument funéraire, à mon avis, doit être imaginé après un laps de temps qui a permis de calmer un peu les peines, les rancœurs, les revendications. L'idée est de se servir d'une maxime, d'une sentence qui est très courante à l'entrée de la plupart des cimetières : nous avons été comme vous, vous serez comme nous, c'est plus qu'une maxime, c'est une sentence.

C'est un rappel de la brièveté de la vie, mais en même temps comme ce texte est apposé sur un miroir qui a la taille humaine, quand on passe devant la sépulture et qu'on se voit dans le miroir et qu'on lit cette phrase j'ai un peu l'impression que la boucle est faite, on ne peut pas être plus connecté entre le message et son récepteur. Créer sans cesse, faire adhérer au projet d'un travail permanent, un combat singulier contre l'immobilisme ambiant et la frilosité des professionnels. Au fil de mes rencontres, je comprends combien il est difficile d'exister ici bas en tant qu'artiste funéraire, combien la lutte est âpre pour enfin susciter l'intérêt et imposer son concept.

Dans cette ville aux rues étroites que le soleil réchauffe avec peine, dans ses parcs où les enfants s'amusent sans souci sous l’œil éteint d'une gouvernante endormie, dans ces habitations dont les façades disent l'opulence et la réussite sociale, un album de famille gorgé d'hommes de biens, d'épouses modèles et de fils reconnaissants, joue en marbre sculpté, en bronze fondu ou en médaillon photographique, le jeu de la vie et de la mort. Ici un couple s'enlace, seul au monde dans un baiser frénétique, là un trottin s'immobilise pour écouter une chanteuse accompagnée par un musicien des rues, il est question d'amour, d'une fille offrant son cœur et d'amant qui ne reviendra plus, tombé au champ d'honneur. Un motard passe, qui flirte avec la mort dans un vrombissement inaudible, une belle frappe à la porte du dernier rendez-vous, un prince de l'uppercut s'entraîne pour l'ultime combat, un cirque plante son chapiteau et un dompteur intrépide enfourche la mort qui le dévorera tandis que Jésus sur sa croix agonise sans fin...

sculture cimetiere

Conception de monument funéraire : un travail d’artiste

Jamais je n'aurais pensé concevoir des monuments funéraires, puisqu'au départ, je faisais un travail d'artiste et puis je photographiais les monuments. La médiocrité ambiante, je dirais même désespérante des monuments funéraires aujourd'hui, m'amenait progressivement à me dire qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire.

Quelque chose d'autre, et qu'il serait bon de confier la création de monuments à des artistes qui rompraient la standardisation, la monotonie, le manque de personnalité des monuments. Lorsque la possibilité m’en a été donné, précisément pour le Père-Lachaise, c'est à dire le cimetière le plus prestigieux de Paris, je peux dire que par anticipation,j'étais aux anges. Derrière moi, la première sépulture que j'ai réalisée au Père-Lachaise. C'est une assez jolie histoire, j'ai été contacté il y a quelques années, par une dame qui voulait créer un monument pour ses parents d'abord, qui étaient enterrés sous une simple dalle de béton. Elle souhaitait qu'il y ait un livre sur sa tombe au départ, ça aurait été sans doute un petit livre posé sur une simple pierre tombale mais en réalité maintenant la pierre tombale est devenu un énorme livre. Lorsque je dois réaliser un monument au Père-Lachaise, j'ai l'impression d'anticiper en quelque sorte sur mon propre monument à venir puisque j’ai la très ferme intention je vais pas dire de finir mes jours ici mais de commencer mon éternité ici.

C'est un monument qui a été réalisé à la demande d'une fédération professionnelle, ce qui signifie qu'il y aura plusieurs personnes à l'intérieur. Le thème en quelque sorte imposée était le thème de l'escalier, j'ai fait plusieurs projets et avec beaucoup de chance l'architecte en chef du Père-Lachaise a comme par hasard choisit le projet qui avait mes préférences. Donc ce thème de l'escalier, on le connaît, c'est celui de l'ascension et d'une espérance en l'au-delà, il y à aussi au sommet un vieux symbole funéraire, à savoir la pyramide. Donc cet ensemble évoque à la fois les pyramides à degrés de l’Égypte ancienne et les temples mayas du Mexique. Quand je suis dans les cimetières, que je fais des photographies dans les cimetières, ce qui m'intéresse d'abord, c'est de jouer sur cette ambiguïté. C'est à la limite de faire croire que ce que je veux photographier c'est une sorte d'instantané, d'arrêt sur l'image, c'est une vie arrêtée mais tout de même existante, plus ou moins occulte, plus ou moins secrète.Dans le fond, le cimetière est fait pour ça, il est fait pour nous laisser croire qu'il s'y passe quelque chose.

L’influence de l’art funéraire et des pratiques culturelles différentes

Par mes voyages, par mes explorations, par je dirais presque mes chasses photographiques, je fais un constat aujourd'hui très navrant de l'architecture funéraire. Le cimetière contemporain sans être trop sévère, est affligeant de médiocrité. Et je voudrais être sûr qu'ils aient une véritable volonté de trouver des solutions je ne crois pas qu'il y ait dans le monde du funéraire, c’est-à-dire dans le monde du commerce et du business, une volonté de changer, il y a une volonté de toujours augmenter le chiffre d'affaires, ça c'est évident. Les gens du funéraire sont des commerçants comme les autres et on peut d'ailleurs pas le leur reprocher. Par conséquent, les seules tentatives, encore une fois, ne peuvent venir que d'individus isolés qui ne peuvent avoir que finalement très peu d'impact autour d'eux. Je ne crois pas à la possibilité de décisions d'ensemble, je ne crois pas que ce soit possible qu'un jour, légalement, réglementairement, on dise il faut changer le cimetière pour qu'il soit plus humain. Nous n'allons pas je crois aujourd'hui, dans le sens de l'humain. Ce qui va dans le sens de l'humain, ce sont toujours des initiatives individuelles, ce n’est jamais par la volonté de ceux qui gouvernent, qui régissent, qui décident des choses. Cloisonné par de hauts murs épais, je pensais que le cimetière de mon enfance, caché aux yeux des autres, comme si la ville des morts devait rester loin de celle des vivants. J'ai encore en tête ce voyage outre-manche où j'ai découvert que l'on pouvait inhumer nos morts à ciel ouvert. Cette fois, le son du crissement de mes pas sur le gravier blanc s'est effacé contre l'épais tapis d'herbe fraîche. De nouveau, je respire, le bruissement du vent dans les feuilles des arbres rassurants a éloigné le murmure de la ville, songe tranquille d'une fin d'après-midi. Aujourd'hui, la tendance est de créer des jardins de mémoire plutôt que des parkings à tombeaux. L'augmentation de la crémation dans l'hexagone en est le bienfaiteur et je me prends à rêver : « sommes-nous bien en passe de voir notre paysage funéraire devenir un lieu plus accueillant, une sorte de musée collectif, qui pourrait nous raconter la mémoire de la ville et de ses ancêtres ? »

Cimetière et jardin, parc naturel

Nous sommes dans un cimetière parc, qui a été conçu par Gilles clément l'auteur du parc André Citroën et plus récemment du jardin du musée des arts premiers du Quai Branly. Cet endroit a une vocation mixte, c'est d'être d'une part l'endroit de balade tout simplement et en même temps d'abriter dans dans certaines parties des sépultures sous différentes formes. Inhumation, c'est à dire pierre tombale, crémation, jardin du souvenir, columbarium avec aussi une nouveauté qui sont les carrés confessionnels puisqu'il y a maintenant un carré musulman qui s'est implantée à l'intérieur de cet espace vert.

Ce qui est intéressant c'est de remarquer toute la recherche qui a été menée sur la notion du paysage dans son aspect un peu paisible et rassurant et j'ai eu l'occasion d'en discuter avec Gilles Clément, il y a quelques temps. Nous sommes d'accord sur un point, c'est qu'il est regrettable qu'il n'y ait pas, ne serait-ce qu'un espace réservé aux sépultures plus émotives, pas spécialement originales. Plus émotives que celles que l'on trouve exclusivement actuellement, j'aurais aimé aussi rencontré des des formes, des couleurs et des matériaux différents, capables en tout cas de générer une véritable émotion en sachant que la sépulture a une double mission.

Rendre hommage aux défunts

D'abord, c'est rendre hommage au défunt, mais en même temps c'est que nous nous rappelions notre propre destinée commune. Il y avait des dessins étalés sur la table, des scénographies désordonnées aux perspectives volontairement tronquées, Xavier a pris le temps de me recevoir avec cette jeune étudiante en arts décoratifs pour me présenter son projet de parc cinéraire. Un lieu de vie où l'on offre des œuvres à ceux qui sont morts nous dit-il, quelle belle idée de vouloir offrir à nos chers disparus un objet pour l'éternité. Adieu les couronnes en tissus délavés par le temps, les plaques de granit aux motifs uniformes, les couvertures monochromes enveloppant les lits juxtaposés de nos champs de repos. Voici plus de deux ans que Xavier se bat pour que ce parc à thème culturel et cultuel puissent s'insérer un jour dans notre paysage funéraire et modifier notre vision de l'autre monde. Donc le cheminement est complètement aléatoire, pas de dramaturgie, pas de cheminement imposé, pas de mise en scène, mais des mises en scène.

Là on avait envisagé la reconstitution artificiellement d'un paysage en juxtaposant des éléments différenciés de friches, de forêts, de rochers, de grand bassin. Ici une forêt, des zones de graminées avec des passages. Sur un ou plusieurs îlots, on va mettre en scène une scénographie justement comme peut l'être un champ de tombes en granit. Prenons une scénographie par exemple dans une forêt : une partie boisée comme celle là avec une scénographie plutôt verticalisée, on trouvera des choses dans les arbres, on trouvera des choses qui relèvent du cumulus, du pendentif, de la stèle... si on prend par exemple ça on peut tout y tout à fait imaginer qu'à un moment donné, en guise de rite, un petit peu comme ça se fait dans certains cimetières anglais, on trouve une appropriation de la parcelle, et que ça devienne un jardin potager. Pour prendre un exemple concret que chaque titulaires d'une concession, d'une parcelle puisse se l'approprier, venir passer du temps, par exemple en saison faire pousser des légumes par exemple, comme s'asseoir, pique-niquer, repas partagés dans ces lieux... Nous avons le choix pour tout ici, l'enseignement qu'on va suivre, du mode de vie que l'on va avoir, même de la forme de la nature, de la cellule familiale. Aujourd'hui, on va construire du lieu où l'on vivra des produits que l'on consommera.

Rites funéraires et monde moderne

Quand on en arrive à la question de la mort et de la dernière demeure, alors là, nous n'avons plus le choix. Nous n'avons plus le choix parce qu'il n'y a pas d'offre ou très peu d'offres et que l'offre n'est pas diversifiée. Donc c'est un choix par défaut. On a les trois monothéismes qui cohabitent chez nous dans la rue : le judaïsme, le monde musulman, la chrétienté. Et à côté de ça, un certain nombre de croyances populaires plus ou moins répandue, la réincarnation, le bouddhisme, certaines formes d'animisme, une grande population africaine qui avait, malgré tout, émigré chez nous. Quelle est la place faite à ces croyances ? Quel intérêt aurions-nous à juxtaposer l'ensemble de ces rites, à les mettre en scène les uns à côté des autres et à les montrer comme tel ? C'est le but de ce parc, faire cohabiter des choses qui aujourd'hui ne cohabitent pas dans la mort, alors qu’elle cohabite dans la vie. Donc en les faisant cohabiter dans la mort, on en fera des lieux de vie. Son visage buriné par le temps, sa voix est calme, profonde, dans son jardin extraordinaire, Lionel pèse chacun de ses mots et les silences qui ponctuent ses phrases me troublent. Dans ce cadre idyllique, j'assiste discrètement à une discussion passionnée et passionnante, sur cette nouvelle façon d'offrir de la vie à un endroit où il n'y a plus rien.

cimetiere jardin

Les cimetières, des espaces en pleine transformation

L’art est un élément fondamental de ma démarche. J’ai toujours imaginé qu'il pouvait se nourrir des cendres qu'on lui apportait, mais c'était une façon de ne pas limiter la mort à la poussière, mais de continuer un peu, dans le sens de la vie. Le cimetière est fait pour les vivants, donc les morts ne font qu’y reposer. Les gens se déplacent pour venir les voir, or ici, les gens qui viennent, partent avec une sérénité qu'il n'aurait pas dans un cimetière, dans un autre site cinéraire. Donc, je crois qu'ils y viennent avec plaisir, une fois le deuil évacué.

Quand on franchit le pas, et que du simple projet, on passe à l'acte, on donne naissance, on concrétise, évidemment les choses prennent corps, est-ce qu’on se considère comme un artiste, comme un homme qui met le pas dans les métiers de la mort, est-ce qu’au contraire, on reste un simple citoyen, est-ce qu’on prend une dimension politique différente, comment est-ce que tu te vois par rapport à ce projet aujourd'hui ? Tout à la fois, politique, forcément, puisque elle est intégrée dans la vie de la société donc elle ouvre même de nouveaux horizons artistiques.

Sépultures et pierres tombales

C’est un acte civique, totalement, puisqu’on apporte une alternative à certaines personnes qui sans cette alternative auraient été fort démunies. Je crois qu’en faisant ça, j'ai apporté aux personnes qui nous ont fait confiance dans le jardin de mémoire, une sérénité dont ils avaient un impérieux besoin au moment où ils ont fait ce choix. Et 7 ans, 3 ans après, 8 ans après, neuf ans après je les revois chaque semaine, venir se promener au jardin. Donc, la démarche était tout à fait légitime. C'est à travers les sépultures, que nous avons découvert et appris à connaître les civilisations anciennes et leur mode de vie. C'est à travers nos espaces funéraires que les générations futures découvriront les nôtres.

Aujourd'hui, je suis convaincu d'une chose, si le laisser-aller esthétique et conceptuel de nos cimetières continue sa lente déchéance, nos descendants auront certainement bien du mal à comprendre nos traditions funéraires. Tel est l'engagement et la raison d'être de Pierre, Raphaël, André et de tous ces artistes de la mort qui travaillent à renouer le dialogue avec nos chers disparus, et marquer les mémoires pour les siècles à venir. Le cimetière des générations futures, je l'imagine beaucoup moins minéral qu’aujourd'hui où chaque famille pourrait s'exprimer très exactement comme elle l'entend et je l'imagine surtout comme un repère, une sorte de catalogue d'un art que je défends par-dessus tout, l'art dernier, et à terme je ne doute pas que le type de projet que l'on essaie de promouvoir aujourd'hui comme une innovation apparaissent dans quelques années comme sorte d'évidence.

 

 

 


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